Monnaies & jetons : outils d’échange, de collecte et de redistribution

Pas de vie sans échange. Les échanges nous rendent efficaces et permettent d’améliorer sans cesse nos conditions de vie. C’est pour cette raison que les hommes ont inventé la monnaie et la réinventent chaque fois qu’elle disparaît.

La monnaie que nous utilisons s’appelle « monnaie dette ». Elle s’inscrit dans la continuité de celle émise par les empereurs romains à destination de ses soldats professionnels.

Les jetons qu’ils recevaient constituaient un à valoir sur le butin que l’armée allait rapporter de sa prochaine campagne militaire.

Avec ces jetons, les soldats se procuraient de quoi subvenir à leurs besoins auprès de la population. La population a trouvé cet instrument pratique… Et l’a adopté au-delà de l’existence même de l’Empire romain !

La monnaie représente trois fonctions :

  1. L’unité de compte, ce qui permet de fixer des prix. Cela évite de tout ramener à des mesures de blé, des têtes de bétails et différentes autres unités dont la préciosité varie en grès de la météo, du climat…
  2. La réserve de valeur : il est difficile de stocker des mesures de blé ou des moutons, il est plus facile d’entasser des jetons dans un lieu secret… Surtout à présent où ils sont numérisés.
  3. Un instrument d’échange admis par le plus grand nombre et surtout la puissance régnante.

Son fonctionnement repose sur la confiance que nous lui accordons. Mais, au fil du temps, cette confiance est mise à mal en raison du fonctionnement opaque des institutions privées qui gravitent autour de la monnaie et de la finance. Les principes économiques du 20ème siècle se délitent. Manifestement, les règles, sans cesse complexifiées, ne suivent pas : elles embrouillent le système sans répondre aux défis qui s’imposent à nous.

Depuis la fin du 20ème siècle, les crises financières s’enchaînent. De façon concomitante, les monnaies alternatives apparaissent ici et là. Cela nous amène à décortiquer le système actuel. Nous y découvrons, par exemple, que la masse monétaire circule essentiellement dans la sphère financière et très peu dans l’économie réelle : il y a découplage entre la richesse crée et la capacité à récompenser ceux qui la produisent.

Nouvelle époque, nouvelles priorités, nouveaux outils de gouvernance

La richesse produite est de plus en plus immatérielle :

le prix d’un hamburger contient plus de « service » que de « matière première ». La dématérialisation de la richesse créée bouscule nos outils de gestion.

Mais surtout, les formes de création de valeur dont nous avons besoin et que nous avons envie de produire ont un comportement économique radicalement différent de celui que nous savons produire actuellement. C’est par exemple le cas des données : celui qui les transmet n’en est pas dépossédé pour autant, alors que s’il vend des carottes, il ne peut les consommer en parallèle de son client.

Par ailleurs, les robots nous libèrent massivement des tâches dangereuses, ennuyeuses, hypercomplexes ou encore fastidieuses. Ainsi, plus de 60 % du temps consacré à produire des biens et des services vont pouvoir (et devoir) être réorientés vers des tâches dévolues, actuellement, au bénévolat, ou au volontariat et éventuellement financées par des dons et des subventions. Autrement dit, des tâches pas ou peu récompensées et donc insuffisamment accomplies.

Ces tâches sont massivement destinées à l’amélioration du bien commun sur le long terme puisqu’elles concernent le développement du savoir, de l’innovation, de la démocratie ou encore la spiritualité.

La compétitivité des nations va se jouer sur leur capacité à faire prospérer leurs biens communs. Le temps disponible et le désir de le faire étant croissant, il ne reste plus qu’à concevoir le pacte social qui permet de saisir cette opportunité.

Nouveaux besoins, nouveaux usages du numérique

La monnaie devient massivement numérique. Elle devient même potentiellement intelligente. Dans le même temps, notre système fiscal et les mécanismes de redistribution, basés sur les lois de finance et les lois sociales, atteignent un niveau de complexité indécent. Il s’avère que ceci peut être contourné en utilisant des monnaies intelligentes. Ceci donnerait en prime un système plus souple, plus évolutif, plus convivial, plus contextuel, plus compréhensible et finalement mieux admis.

Collaborations des chercheurs indépendants, privés et institutionnels

En la matière, nous sommes devant une page quasiment blanche. Toutes les réflexions et les expérimentations sont les bienvenues. Pour le moment, elles sont plutôt le fait de chercheurs indépendants ou travaillant dans le secteur privé. Il est temps de faire collaborer ces chercheurs avec les institutions.

Les enjeux sont colossaux : il va être au cœur d’un sujet plus vaste, à savoir la refonte de notre pacte social. En effet, l’actuel a été conçu à la fin de la seconde guerre mondial. Les trente glorieuses sont désormais loin derrière nous et ne reviendront pas. Peu à peu, les notions de métier et d’emploi disparaissent. Nous devons raisonner en termes de contribution et de parcours de vie. Les monnaies intelligentes ont des propositions à faire valoir.

Deux pistes se dessinent :

  • Des monnaies interopérables, dédiées à chaque grande catégorie de création de valeur (production, bien commun),
  • Une monnaie intelligente redistributive qui, lors de chaque échange, applique des règles qui tiennent compte du contexte pour prélever de la valeur dont le réemploi est débattu démocratiquement localement et à des niveaux supérieurs (géographiquement).

Bien entendu, un mix de ces formules est possible bien que sans doute trop complexe.

La première semble préférable car il s’avère que la biodiversité monétaire constitue un facteur de stabilité en période de trouble. Ceci est illustré par exemple avec les monnaies complémentaires d’Amérique latine ou le WIR en Suisse.

Quid des bitcoins ?

Le Bitcoin et ses variantes n’ont pas été pensés pour apporter des réponses au pacte social. Il s’en prend aux souverainetés. Ils nous permettent cependant d’enrichir notre savoir en matière de monnaie numérique. Outre le fait qu’il pourrait protéger Facebook du démentiellement en raison du nombre potentiel d’utilisateurs à travers le monde, le Libra de Facebook s’inscrit dans ce courant de pensée.

Les monnaies les plus modestes, telles que le SOL, ont une dimension sociale (créer du lien), mais sans elles sont doute trop idéologiques et aucunement technologiques. Elles sont néanmoins riches d’enseignement.

Ce qui est certain, c’est la monnaie doit évoluer. Cette évolution se présente comme une opportunité pour résoudre de nombreux problèmes devenus inextricables dans la logique sociale et économique actuelle. Voilà pourquoi il faut se pencher sur ces sujets sans attendre que d’autres ne le fassent à notre place.

 

 

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Auteur: 
Geneviève Bouché

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