Combien vaut la monnaie ?

Pourquoi un billet de dix euros vaut-il dix euros ? En vaudra-t-il cent si j’ajoute un zéro ?
Remontons au dix-septième siècle pour chercher une réponse.

Créance

Redoutant le vol, les riches commerçants ont sollicité les solides coffres des orfèvres pour mettre leur or à l’abri. Le joaillier délivrait alors une reconnaissance de dette. À tout moment le billet pouvait être présenté à un guichet de l’orfèvre pour récupérer le métal précieux laissé en dépôt. Le billet est une créance.

Le commerce adopta rapidement ces titres tellement plus faciles à manier que l’or. Le billet n’est plus nominatif mais au porteur et les sommes affichées sont des chiffres ronds. Il peut être présenté aux guichets Les valeurs libellées sur la reconnaissance de dette désignèrent une quantité d’or anonyme et non plus un dépôt spécifique. On donnait son or et on récupérait de l’or. Le billet de banque est né, c’est une créance. Il a une valeur intrinsèque.

Le vigoureux développement économique de l’époque exigeait des ressources auxquelles les réserves d’or ainsi constituées subvinrent. Point important : les entrepreneurs qui empruntaient des fonds aux orfèvres préférèrent les billets au métal. La diffusion de la monnaie créance explosa d’autant.

La monnaie d’aujourd’hui reste proche de ce mécanisme. Les réserves d’or à qui les billets devaient leur valeur intrinsèque ont cédé la place au cours du vingtième siècle à la confiance dans l’État qui décrète lui-même la valeur de sa monnaie. C’est la monnaie « fiat ». PIB, puissance commerciale, diplomatique, industrielle, militaire, stabilité politique, maîtrise de l’inflation doivent être au rendez-vous pour asseoir la crédibilité de la monnaie fiat. La monnaie en circulation a une valeur intrinsèque.

Les trois pattes de la monnaie

Depuis Aristote, trois ingrédients sont requis pour faire une monnaie.

Elle doit être reconnue, constituer une unité de compte et être une réserve de valeur.

Reconnue signifie que tous l’acceptent. Les États jouent sur du velours en imposant le règlement des impôts dans la devise nationale et en en interdisant le refus dans les échanges commerciaux.

L’unité de compte permet de mesurer la valeur d’une heure de travail aussi bien que celle de la baguette de pain sur un même étalon : euro, yen ou dollar. Les monnaies n’ont que peu de difficulté à souscrire à ce point.

La réserve de valeur qualifie la stabilité de la monnaie. L’ordre de grandeur de la valeur d’un bien est conservé dans le temps. La monnaie mise de côté pour acheter une baguette de pain permettra encore l’acquisition d’une baguette de pain plusieurs mois après, à l’inflation près bien entendu.

Monnaie virtuelle, un oxymore ?

Banques Centrales, Ministère des Finances s’accordent sur une propriété de la monnaie virtuelle : ce n’est pas une créance. Ne suivons pas notre intuition qui voudrait que la monnaie virtuelle désigne la monnaie électronique ou les écritures des banques. La monnaie virtuelle est une monnaie qui n’a pas de contrepartie : le bitcoin par exemple. C’est l’opposé des billets émis par les orfèvres. Il n’y a pas de valeur intrinsèque, pas de sous-jacent sur lequel appuyer la valeur de la monnaie.

Conséquence notable : comme la valeur d’une monnaie virtuelle fluctue avec la loi de l’offre et de la demande elle n’a pas la stabilité qui lui permettrait d’être une réserve de valeur. Formellement la monnaie virtuelle n’est pas une monnaie.

Cette particularité sémantique n’a pas échappé à des instances comme l’Autorité des Marchés Financiers qui poussent l’emploi du terme  « crypto-actifs ».

Quelle valeur pour une monnaie virtuelle ?

Bitcoin, ether et la plupart des autres « monnaies virtuelles » sont concernées par ces cours erratiques.

Les fortes poussées du bitcoin en décembre 2017 ne peuvent être qualifiées de « bulles » : une bulle caractérise un écart par rapport à une valeur intrinsèque dont les monnaies virtuelles sont dépourvues. Les cours suivent les vagues d’emballement et de défiance.

À l’opposé la perception de la valeur d’une entreprise reflète la confiance dans sa stratégie, son positionnement sur le marché, ses perspectives. Sa valeur plancher est donnée par son bilan, la valeur immobilière de ses établissements, son réseau commercial ou le panier de brevets de ses laboratoires. Le plafond est donné par le potentiel de nouveaux produits ou le développement de nouveaux marchés. La fourchette définit la valeur intrinsèque du titre. Une bulle est une valorisation au delà de la fourchette.

Comment alors appréhender la notion de bulle pour les monnaies virtuelles ? Les probabilités semblent plus à même d’en décrire le cours. Aussi forte ou aussi faible soit elle, il est probable que le cours repassera par cette valeur. Le plus haut historique de 2014 est soudain paru bien chétif vu de 2017.

Le prix Nobel Jean Tirole nous avait prévenu : « Le bitcoin n’a pas de valeur intrinsèque ».

 

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Auteur: 
Jacques Baudron - Secrétaire Forum ATENA - septembre 2019 - jacques.baudron@ixtel.fr

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