La conduite autonome pourra-t-elle faire l’impasse sur l’Intelligence Artificielle forte ?

Novembre 2017 : Waymo, filiale de Google pour les véhicules autonome confirme son ambition de lancer Waymo One un service commercial de taxis sans chauffeur dans la zone de Phoenix sous trois mois. Uber sans chauffeur, la cible tant convoitée.
Décembre 2018 : lancement de Waymo One. Le service est là, sauf que deux restrictions de taille limitent la portée de l’évènement : la première est qu’il n’est ouvert qu‘aux seuls primo-utilisateurs présélectionnés parmi les habitants du Sud Est de Phoenix et la deuxième est qu’un « superviseur » restera au volant. Le lancement commercial devient nouvelle phase de test. La suppression du chauffeur est pour bientôt, mais plus tard. Le commandant ne quitte pas encore le navire.

Testons l’autonomie

Pourtant depuis 2017 les tests vont bon train dans la commune de Chandler proche de Phoenix que Waymo a élu comme terrain d’essais pour véhicules sans chauffeur. L’amusement du début a rapidement cédé la place à une agressivité mal contenue à l’origine d’attaques physiques : les résidents sont excédés par ces voitures qui pilent sans raison visible, qui peinent à s’insérer dans une file de trafic et qui sont tétanisés à l’idée de tourner à gauche à un carrefour.
Le choix s’est porté sur Chandler pour ses nombreux itinéraires calmes, balisés par un marquage explicite, ses conditions météorologiques clémentes et la réglementation bienveillante. Le passage à des conditions plus réalistes n’a hélas pas permis de concrétiser les espoirs. Dès que la densité de trafic augmente, le tempérament intentionnellement prudent de la conduite bloque toute initiative de mouvement au milieu des autres véhicules. La Place de l’Étoile où nul marquage ne matérialise les files doit représenter le cauchemar absolu pour un véhicule autonome. La traversée n’est possible qu’avec un minimum d’esprit de compétition voire d’agressivité. La conduite accompagnée est incontournable pour pallier les limites de la machine.

Conduite accompagnée

Le sentiment de sécurité créé par la présence d’un superviseur derrière le volant ne doit pas faire illusion. Si la reprise en mains pour franchir un carrefour est rapide car l’attention est soutenue, il n’en va pas de même lorsque l’inattendu perturbe la quiétude d’une route sans encombre. Plusieurs secondes sont nécessaires pour se mobiliser, évaluer la situation et réagir. Maintenir sa vigilance relève du défi, c’est l’enseignement que j’ai tiré de la conduite accompagnée.
Grâce au Department of Motor Vehicles de Californie nous disposons de statistiques sur la capacité effective des véhicules autonomes de se passer de mentor, les cas où l’humain doit prendre la main devant être reportés. Les résultats sont très contrastés. Volkswagen comme Honda affichent un score vierge, mais ne nous emballons pas : la totalité des tests à lieu sur des routes privées où il n’y a nulle obligation de rapport. On ne peut envisager aujourd’hui un trajet de quelques heures sans plusieurs interventions humaines.

Les points durs

Penchons nous sur deux difficultés majeures : s’insérer dans une file et tourner à gauche dans un carrefour. Ces deux situations ne présentent pas de problème particulier tant que la situation est fluide, des règles déterministes prennent en charge la situation et la machine s’en sort très bien. Dès que le trafic s’intensifie, le facteur humain s’insinue au point de ne plus pouvoir être ignoré. Une compétition s’installe entre véhicules concourant pour savoir qui cédera le pas pour laisser passer l’autre. Frustration et impatience s’immiscent rapidement dans le comportement. Appels de phare ? Échange de regards ? Ce sont des signaux tangibles, mais ils peuvent être imperceptibles. Refus de croiser le regard de l’autre, impossibilité de franchir le rempart de vitres fumées. Ne restent alors que des critères tiers : accélération, inflexion de la trajectoire, type voire couleur du véhicule. Et effectivement il semble commun, à Phoenix de rencontrer des véhicules coincés en bout de voie d’introduction sur une voie rapide ou bloqués dans un carrefour. Les règles déterministes sont alors à leurs limites.

L’IA dans la voiture

Tentons de schématiser l’intelligence dans les opérations de conduite autonome. En faisant simple, on peut identifier deux domaines où l’intelligence est requise dans le véhicule autonome : la perception de l’environnement et la prise de décision.
Pour le premier les capteurs physiques radars, caméras vidéo, lidars, infra-rouge permettent de « voir » l’environnement et de le reconstruire avec sa topologie et sa métrique. Par la suite, un balisage wifi dressera une carte des véhicules avoisinants puis l’adoption de la 5G ouvrira un dialogue entre véhicules. Notons que ces deux derniers points supposent un monde peuplé exclusivement de véhicules autonomes. Les techniques d’apprentissage et d’Intelligence Artificielle faible sont à l’aise dans ces travaux appuyés sur une quantité de données gigantesque : la petite dizaine de caméras génère à elle seule son content de GOctets chaque seconde.
Une fois l’environnement et sa dynamique appréhendés reste à prendre la décision : interpréter la signalisation, accélérer, freiner, négocier un virage, déboiter, clignoter … Tant que les situations sont « sans surprise », les algorithmes en viennent à bout. Encore que différencier un obstacle d’un marquage sur la route, un sac en papier d’une pierre ne soit pas toujours évident. Pas plus que de statuer sur la réaction face à un objet devant le pare-brise. Faut-il s’arrêter ? Préférable si c’est un humain, à éviter si on est sur autoroute et que c’est un papier. La position de Tesla est d’ignorer en partie ces bruits et de recommander dans le manuel utilisateur une grande vigilance car le mode « Cruise Control » ne sait pas détecter les objets à l’arrêt pour peu qu’ils soient dévoilés soudainement lorsque le véhicule qui vous précède déboite. Est-ce là l’origine des collisions avec des véhicules de pompier ?

Quelle IA ?

Le retard de Waymo face à la conduite totalement autonome semble révélateur de l’état d’esprit courant aujourd’hui : ce n’est pas gagné, il y a encore du boulot ! Mon interprétation est que la difficulté provient de la cohabitation entre intelligence artificielle et comportement humain. Une première étape pourrait consister en des infrastructures exclusivement réservées aux véhicules autonomes.

Fondamentalement, je doute fortement quoique depuis peu des atouts de l’Intelligence Artificielle faible pour répondre à la conduite autonome. Construite sur des statistiques elle ne sait qu’extrapoler depuis l’expérience répertoriée et se trouve totalement démunie face à l’imprévu. À défaut de devoir se cantonner à des espaces réservés, la conduite autonome doit pouvoir intégrer le « non-prévu ». L’Intelligence Artificielle forte est requise mais nul ne sait se prononcer quant à son échéance. Le délai de vingt ans fréquemment rencontré évoque pour moi la signification de « quarante » dans « Ali baba et les quarante voleurs » : « beaucoup ».
 

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Auteur: 
Jacques Baudron - Secrétaire Forum ATENA - jacques.baudron@ixtel.fr

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