Louis Pouzin: "Internet est bâti sur un marécage"

Par Emmanuel Paquette publié le 15/02/2015 le 16/02/2015

Pionnier des réseaux, le président d'honneur de la Société française de l'Internet Louis Pouzin s'inquiète aujourd'hui de la volonté de contrôle des Etats à l'aune des derniers attentats et des poussées sécuritaires des gouvernants. 

Pour Louis Pouzin, censurer la propagande terroriste sur la Toile est un leurre, destiné à "rassurer le peuple".

A 83 ans, Louis Pouzin se déplace encore autour du globe et ne dort que quelques heures par nuit. Décoré par la reine d'Angleterre, en 2013, pour sa contribution majeure à la création d'Internet, cet ingénieur français, polytechnicien, est à l'origine, dans les années 1970, du premier réseau -appelé "Cyclades"- permettant de communiquer des informations sous la forme de paquets. L'octogénaire travaille toujours à la refonte de la Toile. 

A chaque acte terroriste, des lois sécuritaires sont votées et Internet se retrouve au coeur des débats en tant que moyen de communication, mais aussi de recrutement, des djihadistes. Après les attentats de Charlie, la France suit cette voie. Cela vous inquiète-t-il?

Les Etats-Unis ont été pris d'une paranoïa sécuritaire après les événements du 11-Septembre, suscitant l'émergence d'une industrialisation de la surveillance de masse sous l'ère de George W. Bush. Barack Obama n'a fait que légaliser, a posteriori, ce qu'a mis sur pied son prédécesseur sans l'intervention des juges. Tous les services de renseignement de chaque pays échangent des informations depuis bien longtemps. Ils peuvent aussi en garder certaines pour eux, ou encore en transmettre des fausses.  

Ce sont de vieux procédés dont l'origine remonte à la Seconde Guerre mondiale. Mais cela finit par être aberrant dès lors que les enregistrements deviennent systématiques et massifs, prélude à une société totalitaire. Quand un gouvernement est capable de tout savoir, plus personne n'ose rien dire. Déjà, au sein même de l'agence de sécurité américaine, la NSA, des personnes utilisaient ce pouvoir pour surveiller leurs conjoints, leurs amis, leurs enfants, leurs collègues.  

L'étape suivante consiste à faire commerce de ces informations. Bien évidemment, les dirigeants vont renforcer les contrôles pour éviter ce genre de dérive, mais, dès que 2 000 à 5 000 personnes ont accès à ces éléments, les fuites se multiplient et il devient compliqué de tout maîtriser. A la fin, tout le monde a peur de tout le monde, et la légitimité des gouvernants s'effondre. Car les élus sont potentiellement menacés. On le sait bien, tout politicien a des choses répréhensibles à cacher, et chacun d'eux devra obéir à des consignes, sous peine de voir ces informations déplaisantes divulguées au grand public. En suivant cette logique implacable, on aboutit à la fin de la démocratie et à la naissance de la Stasi. 

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