Le bitcoin n’est pas une créance. Qu’est-ce à dire ?

Du haut de ses quatorze mille euros, le bitcoin est en haut de l’affiche. Mais nous prévient-on, les monnaies virtuelles ne sont pas des créances, le bitcoin n’a pas de valeur intrinsèque. Comment faut-il prendre ces affirmations ? Au delà du manque de confort  d’une définition par la négative (une monnaie virtuelle n’est PAS une créance) demandons nous d’abord pourquoi une monnaie est une créance.

Les acceptations des termes et concepts utilisés ici répondent aux usages qui en sont faits notamment par le Ministère des Finances et la Banque de France.

Histoire d’orfèvre

Usons de l’histoire pour illustrer l’apparition de la monnaie.

Dans la première moitié du XVIIème siècle, les orfèvres font partie des rares métiers dotés de coffres forts à même de tenir tête à l’aigrefin courant en ces temps. Les riches négociants particulièrement vulnérables ont tôt fait d’y solliciter l’hébergement de leurs métaux précieux contre une reconnaissance de dettes nominative et bien entendu une juste rémunération pour service rendu. Sur présentation de ce papier, tout ou partie des métaux précieux déposés pouvait être retiré. C’est une créance.

Les choses évoluant, les reconnaissances de dettes deviennent anonyme et ne mentionnent plus que le montant d’or exigible en contrepartie. Notons que l’or restitué sur présentation du billet n’est plus physiquement l’or qu’on y avait déposé mais un montant de poids identique prélevé sur le stock en place. Les marchands déposent « leur » or et récupèrent « de » l’or. Les reconnaissances de dette bien plus légères et faciles à manipuler que l’or ont rapidement la faveur lors des échanges de biens ou services. Nous voilà en présence de billets. Les billets sont des reconnaissances de dette, des créances. Contre présentation du billet, on peut exiger le poids d’or inscrit sur sa face.

 

Métallique, fiduciaire, scripturale, virtuelle ou crypto : par ici la monnaie

La sonorité des pièces ainsi que leur poids mesuré au trébuchet attestent la teneur en métaux précieux des espèces reconnues ainsi pour sonnantes et trébuchantes. La monnaie métallique vaut son pesant d’or.

Les métaux précieux ont cédé le pas à la confiance avec la monnaie fiduciaire. La monnaie est une créance vis à vis d’un État qui en garantit la contrepartie à hauteur de la valeur inscrite sur leur face. Les lois de l’État interdisent de refuser la monnaie fiduciaire pour les échanges et imposent son usage pour s’acquitter des impôts. 

Avancée notoire par son aspect pratique et sa fluidité : la monnaie scripturale. Les banques tiennent un journal des entrées et sorties de chaque compte. Ces écritures font office de monnaie. Un salaire est une écriture garnissant un compte qui sera débité lors d’un règlement par une carte bancaire aux caisses d’un commerce. La très grande majorité des échanges se fait sur la base de la monnaie scripturale.

La définition de la monnaie virtuelle est très désagréable car elle procède d’une négation : une monnaie qui n’est pas une créance. Elle n’a pas de valeur intrinsèque. Au rebours des trois autres monnaies, elle ne s’appuie ni sur un métal précieux ni sur une production de valeur marchande. Le bitcoin en est un parfait exemple. Sa valeur est exclusivement tributaire de la loi de l’offre et de la demande. Attention à la fréquente confusion entre monnaies virtuelles et scripturales.

L’appellation crypto-monnaie est gravée dans le marbre wikipédien à mon grand désespoir. Elle concerne les monnaies échangées de pair à pair en utilisant des moyens cryptographiques. Le bitcoin en est là aussi un parfait exemple. Mais ce hold-up sur la racine « crypto » laisse entendre que seules les monnaies construites sur une blockchain utilisent et utiliseront la cryptographie : je boude le terme autant que faire se peut. 

Les choses n’en restent pas là. Chaque orfèvre dispose dans son coffre d’un tas d’or qui dort. Les commerces quant à eux ont besoin d’emprunter des fonds pour assurer le développement de leurs activités et les deux parties ont tôt fait de trouver un terrain d’entente. En pratique ce n’est pas l’or lui-même qui est prêté mais des reconnaissances de dettes identiques à celle des déposants. Ces reconnaissances de dettes ont une vie éphémère : elles sont détruites dès que l’emprunteur se libère de son emprunt.

Les orfèvres ne tardent pas à constater que d’expérience l’or entre et sort mais que le niveau des stocks ne descend pas en dessous d’un seuil. Statistiquement, tous ne présentent pas leur reconnaissance de dette au même moment. D’où l’idée de proposer plus de reconnaissances de dette qu’il n’y a d’or. Le total des montants inscrits sur les billets reconnaissance de dette émis est supérieur au poids d’or chargé de le garantir. Le risque est de se trouver démuni face à un afflux de demande remboursement, risque visiblement mesuré puisque le système se développe. Cela dit, le modèle mis en place pour renflouer l’après Louis XIV par John Law a tout de même montré en 1720 qu’avoir une demande simultanée de tous les utilisateurs ne relève pas que de la théorie !

Notons que le mécanisme de création monétaire est là. Quand un commerçant emprunte de l’or, l’orfèvre se cantonne à inscrire cette somme dans ses registres et à imprimer des billets-reconnaissances de dette à l’usage du commerçant. Le niveau d’or dans ses coffres ne change pas. Mais dès que le commerçant dépense ses billets-reconnaissances de dette correspondant à son emprunt, les billets sont utilisés par son fournisseur pour rémunérer des collaborateurs, puis permettront l’acquisition de pain et ainsi de suite. La monnaie est dans le circuit. Tous ces échanges ont pour point d’origine une simple écriture dans un registre. L’histoire n’est pas finie : quand le commerçant rembourse sa dette, l’orfèvre détruit la reconnaissance de dette. La création monétaire est suivie par un montant identique de destruction monétaire. Un simple jeu d’écritures dans un registre est à l’origine d’échanges rémunérés de biens et services. Prononçons un gros mot : une augmentation du Produit Intérieur Brut.

Nous voilà en présence de monnaie avec les trois attributs en vigueur depuis Aristote : acceptée, divisible et durable. (i) La monnaie est garantie par la confiance que l’on a dans la réserve d’or, ce qui la rend acceptable par tous. (ii) Elle permet d’échanger heures de travail contre du pain car tous sont mesurés en unité de compte commune. La monnaie est divisible. (iii) Enfin, la quantité de monnaie nécessaire à l’acquisition de pain est similaire - à l’inflation près – que l’on fasse cette acquisition à un moment donné ou un an après. Elle a une certaine stabilité qui lui est donnée par sa référence à l’or. Elle est durable.

Monnaie d’État

Le mécanisme qui a fait ses preuves pour les orfèvres est appliqué au niveau d’un État. La monnaie émise est dite fiduciaire car elle demande de faire confiance à l’État. L’État du haut de ses richesses en métaux précieux voire de richesses acquises lors de conquêtes émet ses billets en édictant deux règles : il est illégal de refuser la monnaie nationale pour régler une dette et il est illégal de s’acquitter de l’impôt dans une devise autre que la monnaie nationale. La bonne diffusion de la monnaie d’État s’appuie sur un acte autoritaire. La force de la loi.

La référence à l’étalon-or a été la règle dans tous les échanges internationaux. Les déséquilibres politiques internationaux du siècle dernier ont créé après 1945 une situation où les États-Unis et leur or faisaient référence, avant que cette référence à l’or ne soit abandonnée suite, entre autres, aux déséquilibres financiers créés par le conflit du  Vietnam. La référence est maintenant beaucoup moins palpable. La confiance est donnée par un ensemble de facteurs regroupant le dynamisme, l’influence ou la richesse. Le PIB, en tant que mesure de l’activité, peut donner une idée de la référence étalon d’une monnaie.

Banques centrale et commerciales

Les organisations en place aujourd’hui s’appuient sur une banque centrale à but non lucratif qui produit la monnaie fiduciaire, applique la politique monétaire du gouvernement en terme de régulation, d’inflation, de modulation par les taux d’intérêt et sur des banques commerciales dites secondaires qui ont pour rôle est la distribution de la monnaie issue de la banque centrale et la gestion des services comme les prêts pour les entreprises et les particuliers.

Les banques secondaires commerciales gèrent de la monnaie scripturale. Quand votre compte bancaire est crédité de cent euros, il n’y a pas quelque part physiquement cent euros en billets qui sont mis dans une boîte à votre nom. Avoir cent euros sur son compte signifie que votre banque s’engage à vous échanger cette somme par cent euros émis par la banque centrale. C’est une créance que la banque commerciale est tenue légalement d’assumer.

La banque commerciale accorde des prêts contribuant ainsi à la circulation monétaire par les mécanismes de création destruction.

Notez bien qu’une banque commerciale est avant tout une entreprise privée et qu’elle peut comme toute entreprise être mise en faillite. Dans cette hypothèse, la banque devient incapable d’honorer ses créances et tous ses fonds – que dis-je, vos fonds - sont alors perdus. Les conséquences seraient telles que l’État a prévu un fonds de cent mille euros maximum par compte en cas de pépin, ce qui amène deux remarques : il ne faudrait pas qu’un effet de dominos fasse s’effondrer plusieurs banques simultanément ce qui est malheureusement loin d’être exclu et les banques ont la singularité en tant que société commerciale de faire supporter par la collectivité leur éventuelle faillite.

 

Monnaie virtuelle

La monnaie virtuelle ressemble furieusement à la monnaie secondaire décrite plus haut avec une différence majeure : la monnaie classique vous permet à tout moment d’exiger de votre banque la contrepartie des écritures en monnaie fiduciaire, alors que rien de tel n’est proposé avec la monnaie virtuelle. La monnaie virtuelle ne conserve que les écritures. D’où sa curieuse définition en négatif : les monnaies virtuelles ne sont pas des créances. Par construction, seul persiste dans le processus le côté scriptural de la monnaie – toute transaction est inscrite de manière indélébile – mais la totale indépendance vis à vis des autres monnaies l’empêche de s’appuyer sur une valeur ou monnaie quelconque. On dit également qu’il n’y a pas de valeur intrinsèque.

Les monnaies virtuelles sont-elles des monnaies ?

La question a un sens : formellement, la réponse est … non.

En effet depuis Aristote trois caractéristiques définissent la monnaie. Elle est acceptée, divisible et durable. Acceptées, les monnaies virtuelles le sont de plus en plus, que dis-je, de mieux en mieux. Les levées de fonds par ICO en sont l’illustration. Divisibles, pas de problème, les monnaies virtuelles intègrent d’origine cette capacité à faire office d’unité de compte. Elles permettent de mesurer la valeur des biens et de faire des comparaisons.

Durables ? La monnaie permet de différer un achat pour « plus tard », au meilleur moment. Encore faut-il que « plus tard » le pouvoir d’achat de cette monnaie n’ait pas évolué. Or, la définition de la monnaie virtuelle précise qu’elle ne s’appuie sur aucun élément qui assurerait sa stabilité. Formellement, le manque de stabilité qui s’ensuit ne lui permet pas de satisfaire à la troisième caractéristique. « Monnaie virtuelle » relèverait de l’oxymore.

Cela étant posé, ne nous arcboutons pas sur le formalisme, n’hésitons pas à pragmatiquement renier Aristote. Pour ma part, si mon nez s’allonge imperceptiblement quand j’annonce haut et fort que « le bitcoin est une monnaie » ça ne porte pas à conséquence. Et ça simplifie beaucoup les discussions.

À la différence d’une action pour laquelle on peut tabler sur un maximum et un minimum en fonction de l’implantation sur les marchés, de la recherche et développement voire des actifs résiduels en cas de faillite, nous ne disposons de nulle référence pour les monnaies virtuelles.

De plus la masse monétaire exprimée de la plus importante des monnaies virtuelles en dollars est plus proche de la fortune d’un Bill Gates ou d’un Jeff Bezos que du PIB d’un pays. Mener une attaque contre le bitcoin ne serait pas hors de portée de la plupart des États.

Autre faiblesse potentielle : la mécanique de validation des blockchains publiques telles qu’en usage pour les monnaies virtuelles fait appel lors du processus de minage à des puissances de calcul accessibles uniquement à quelques gros acteurs. Nous nous éloignons de la décentralisation et biaisons la garantie du consensus.

Le bitcoin a une très forte volatilité. Où pourrait se situer sa valeur intrinsèque si il y en avait une ? Pour ma part je vois deux points. D’abord les monnaies virtuelles permettent de transférer des fonds extrêmement rapidement et dans des délais extrêmement courts. Modérons toutefois notre propos, les délais s’allongent et les coûts grimpent, succès oblige. Je pense également que les banques secondaires n’auront aucun mal à mettre sur le marché quelque produit de transfert de fonds à bas coût. L’autre point est lié aux « ICO », créatures bizarres ni prise de participation ni obligation mais plutôt avant vente de nouvelle monnaie ou de nouveaux produits.  Ce sont des levées de fonds extrêmement souple et rapide qui utilisent une monnaie virtuelle comme base de transaction, ce qui donne une certaine légitimité à la monnaie.

Les exemples sont frappants : quinze millions de francs suisse en trente minutes pour Cosmos, douze millions de dollars en douze minutes pour gnosis. N’oublions pas Ethereum qui malgré les déboires DAO a levé dix-huit millions de dollars à sa création et dont la valeur a été multipliée par deux cents en à peine plus de deux ans ?

En l’absence de référence, la monnaie suit son propre rythme, répond à ses émotions, calque les engouements et désespoirs fugaces. Son cours est imprédictible. Ce n’est pas parce qu’il est haut qu’il ne montera pas encore plus haut ou chutera plus bas. Pouvoir affirmer que c’est une bulle serait bien confortable. Quand il était à huit mille dollars mi novembre, on pouvait pronostiquer une bulle. Las, nouvel envol, doublement du cours en quinze jours. Imprévisible. Le cours aurait pu tout aussi bien chuter. Un outil rêvé pour les amateurs d’émotion forte et de jeu.

Tout ça parce qu’une monnaie virtuelle n’est pas une créance.

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Auteur: 
Jacques Baudron - Décembre 2017 - jacques.baudron@ixtel.fr

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