Le rôle rénovateur de la société civile face à la crise politique en France

84% des Français pensent que les élites politiques ignorent les problèmes du peuple. Ce chiffre montre le divorce entre les gouvernants et les gouvernés. Il ne s’agit plus d’une relation élastique entre les élites politiques et le peuple faite de rapprochement et d’éloignements successifs, il s’agit bien de la rupture d’un lien. D’un côté, les français s’intéressent à la politique et en particulier à l’élection présidentielle. De l’autre, ils rejettent les élites politiques. Pour nos concitoyens, à tord ou à raison, ces élites politiques n’apparaissent plus comme ayant des devoirs et des responsabilités par rapport au peuple, mais surtout comme bénéficiant de droits et de privilèges.

La vie politique française est fragmentée. La science politique analyse le rejet des partis, les effets pervers des primaires avec le passage de deux blocs à quatre, la défiance envers les élites, la vogue de l'« antisystème ». La sociologie insiste sur la césure de la France entre les groupes de connectés-mondialistes et les populations périphériques, délaissées et dépitées et rappelle le rôle croissant du numérique et des réseaux sociaux dans la versatilité de l'opinion. L'économie montre la perte de compétitivité, la chute des marges des entreprises, la désindustrialisation, le chômage de masse, le déficit et le surendettement public. En sachant que la crise financière de 2008 a aggravé mais pas créé nos difficultés antérieures à la crise des subprimes et que la cause principale de ces problèmes est la non compréhension du nouveau paradigme industriel. L’expression « vide stratégique » est d’ailleurs préférable à « crise ». Le mot « crise » signifierait que les modèles existants sont pérennes et valides et qu’ils nécessitent seulement quelques ajustements. Or la solution ne consiste plus à « bouger le curseur » et à appliquer une politique macro-économique budgétaire et monétaire mais bien à comprendre qu’un nouveau modèle de société est apparu.
Mais il faut appréhender aussi une dimension plus générale, philoso¬phique, relative à la démocratie et à la nature humaine : une relation conflictuelle entre les ambitions personnelles et le bien commun. Désirer le pouvoir n'est pas désirer l'harmonie de la cité. Sous les discours vertueux, les bonnes intentions affichées, les programmes alléchants, la lutte se poursuit, à l'intérieur, l’affrontement continu perdure. Ce phénomène est plus visible et plus vif dans les démocraties. Dans une démocratie, seule décide la règle majoritaire. Les rivalités entre les personnes et les rapports de force entre les groupes se donnent davantage libre cours. Face à ce blocage, la société civile a un rôle à jouer.

La société civile a-t-elle vocation à la rénovation de la vie publique ? Quelles peuvent être ses formes d’engagement en politique ? A-t-elle une légitimité à intervenir, à quel titre, avec quels moyens, quels méthodes, quels outils ?

En France, nous assistons à l'épuisement du régime présidentiel. Taillé en 1958 pour la carrure d'un dirigeant à forte dimension historique, le régime présidentiel a imposé une hyperpersonnalisation. Le système politique, à force de vouloir s'en remettre à un homme providentiel, a fini par abandonner la rationalité dans les débats et dans les décisions. Ce modèle montre aujourd’hui ses limites et surtout son anachronisme. Nos institutions, inspirées du Conseil national de la Resistance, favorisaient l’épanouissement du paradigme de l’économie fordiste de la deuxième moitié de la deuxième révolution industrielle : économie de masse : masse de travailleurs de la grande entreprise pyramidale, normalisée, hiérarchisée, optimisée, cadencée par l’organisation scientifique du travail, fabricant des produits standardisés, faisant l’objet d’une consommation de masse sur des marchés grand public.

En 2017, trois choix démocratiques s’offriront à l’électeur : l’alternance, qui fait le jeu du balancier entre deux ex grands partis déphasés et dépassés, l’alternative populiste qui détruit davantage qu’elle ne construit, l’abstention qui fait le jeu des sortants. La campagne présidentielle s’achèvera par une échéance à l’enjeu surévalué et par un résultat par défaut.

Quels sont l’esprit et l’usage des institutions de la Vème République ? L’élection présidentielle désigne la personnalité qui occupe la plus haute charge, celle du chef de l’Etat qui, légitimé par le suffrage universel, est un « arbitre au-dessus de la mêlée » et incarne la France à l’international. Le président tire sa prééminence d'un triple pouvoir - celui de dissoudre l'Assemblée nationale, de nommer et révoquer le Premier ministre ou d'en appeler directement au peuple par le référendum. L’élection législative permet de dégager une majorité à l’Assemblée nationale devant laquelle le Gouvernement est responsable. Le premier de ses ministres est « absorbé » par la conjoncture, politique, parlementaire, économique et administrative.

Ce modèle doit être revisité. Les législatives de juin 2017 ne doivent pas être le simple suivi d’une victoire présidentielle par défaut, consacrant un anachronisme. Elles doivent constituer une formidable opportunité pour des acteurs de la vie quotidienne, souvent simples spectateurs désabusés de la vie politique, de prendre leurs responsabilités, de reprendre la parole et d’agir pour leur pays. Les législatives doivent être le signe d’un réveil des territoires dans chaque circonscription. Elles doivent être l’occasion d’un élan collectif, et non des actes isolés d’un homme « providentiel », un élan capable de réinventer la France face aux défis du passage de l’économie fordiste à l’économie numérique. On peut considérer que la grande dépression de 1929 a été le catalyseur de l’émergence et du déploiement de l’économie fordiste. La crise financière de 2008 est son homologue pour l’économie numérique : un accélérateur de la disparition du paradigme ancien et un révélateur des lacunes institutionnelles du paradigme nouveau. Il faut inventer les institutions publiques permettant l’épanouissement et l’équilibre social du paradigme de l’économie numérique du règne de la donnée à l’ère de la multitude, de l’homme augmenté et de l’entreprise étendue, de l’innovation continue et du développement des territoires.

Vers de nouvelles institutions : Il faut repenser la démocratie avec l’aide du numérique. Le modèle doit devenir une réalité ancrée, partagée et proche des individus. Quels sont les outils et les usages pour exercer la citoyenneté de demain ? Le quinquennat qui s’achève a permis des avancées en la matière, notamment à travers le projet de loi pour une République numérique, et son mode d’élaboration collaboratif. Les citoyens et les pouvoirs publics doivent aller plus loin, pour imaginer une nouvelle démocratie où le collaboratif vient s’hybrider avec le représentatif, et bâtir un nouvel équilibre démocratique et institutionnel. On peut repenser la place du citoyen dans notre système politique à l’aune des opportunités de participation et de transparence que permettent les nouvelles technologies numériques. Pour réussir, cette transformation doit se donner les moyens de former le citoyen à ses nouvelles responsabilités et de lui fournir une identité numérique lui permettant d’exercer ses droits et devoirs de citoyen en ligne. Il faut que des représentants de la société civile soient candidats aux élections législatives de 2017 dans tout le territoire français, dans toutes les 577 circonscriptions.

Il faut aussi que ces représentants de la société civile, compte tenue de leurs compétences par domaines, s’engagent aux cotés des députés et les sénateurs pour orienter, compléter et accompagner leurs réflexions et leurs décisions dans leur travail législatif.

Le monde est entré depuis les années 1980 dans la troisième révolution industrielle. L’industrie est mue par l’informatique, les processus normés et informatisés. Cette troisième révolution industrielle, la France l’a ratée. Ou sont parmi nos élites les penseurs des transformations en cours, les éclaireurs de l’avenir, les pédagogues du changement ?

Le risque pour la France et l’Europe de devenir des « colonies numériques » des deux autres continents est réel. En ce qui concerne la question essentielle et stratégique de notre souveraineté numérique, parmi les 577 députés et les 348 sénateurs une vingtaine ont exposé les enjeux dans l’indifférence de leurs collègues, mais aucun n’a avancé de solutions réelles pour faire pièce aux géants technologiques américains et asiatiques. Pourtant face aux technologies numériques, dont le potentiel de transformation n’est qu’au tout début, les opportunités sont vastes et les menaces énormes.

Il est indispensable de conduire une réflexion sur les fondements de nos économies, de nos cultures et de nos systèmes politiques face au paradigme dans lequel nous entrons : l’économie dite numérique, qui est en fait une économie informatique anthropologique. Or on constate face à ce défi une certaine résignation de la classe politique française. Nous devons être lucides sur les mesures à prendre pour protéger les données des citoyens et des entreprises. Mais la défense de notre souveraineté numérique doit d’abord s’accompagner d’une stratégie de développement industriel de ces technologies, défensive mais aussi offensive. Les politiques publiques européennes se doivent d’établir des choix sur les secteurs clés pour les économies européennes (la santé, l’énergie ou les transports…). Ces dernières devront faire l’objet d’une véritable coordination industrielle, juridique et technologique. Afin de bénéficier de l’effet d’entraînement des trop rares succès comme BlaBlaCar pour les transports ou Sigfox pour les nouveaux réseaux d’objets connectés, les politiques publiques devront aussi orienter la commande publique vers des PME et des ETI innovantes, qui pourront à leur tour participer à la transformation de l’ensemble des secteurs industriels. Il est devenu impossible de concevoir la souveraineté numérique sous un angle uniquement juridique ou technique. Elle doit également s’appuyer sur un écosystème industriel diversifié et puissant.

 

 

 


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Auteur: 
Christophe DUBOIS-DAMIEN, Administrateur de Forum ATENA, Président de l’Atelier Intelligence économique

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