Chantal Lebrument, auteure du livre « LOUIS POUZIN L’un des pères de l’internet » interviewée le 11 février par Bernard Biedermann.
BB : Tout d’abord, revenons sur vos premiers contacts en Arménie, pourquoi l’Arménie ? Avant les premiers contacts, vos contacts connaissaient-ils RINA ?
CL : En octobre 2016 Louis Pouzin a été nommé « homme numérique de l’année » par le gouvernement arménien et à ce titre nous avons été invités en tant qu’hôte officiel à une visite d’une semaine dans le pays. Nous avons notamment visité le quartier des startups qui comprend nombre d’entreprises dont certaines travaillaient pour des sociétés françaises dans le développement d’applications et le codage. Mais ce qui nous a beaucoup impressionné c’est la visite au centre TUMO : une école d’apprentissages numériques basée sur une pédagogie totalement innovante et qui permet à une génération de jeunes de se former et de se développer en plus d’une scolarité classique.
Il était convenu qu’après un dîner d’État Louis Pouzin discuterait avec un aéropage de chefs d’entreprises regroupés autour du 1er ministre de l’époque. Parler uniquement d’Open-Root ne nous paraissait plus assez innovant, Louis a donc présenté RINA, totalement inconnu des participants.
BB : Qu’est ce qui a conduit les Arméniens à s’intéresser RINA ?
CL : Le temps a passé, nous avons continué à développer nos compétences et nos interventions sur RINA. L’Arménie de son côté a fait une « révolution douce », tous les ministres et membres du gouvernement ont été démissionnés pour laisser place à une démocratie et une équipe nouvelle. Mais, l’idée de RINA était restée.
BB : Et puis les raisons qui ont conduit au lancement du projet ?
CL : Le lobbying efficace exercé par la société Stardoom dirigée par un français, Philippe Poux, a fait perdurer le souvenir de cette présentation. L’apport d’un soutien sur place au fait des arcanes du gouvernement et surtout du tissu industriel du pays a été déterminant. La constitution d’une équipe a démarré au début de 2018 pour arriver au lancement officiel du projet en novembre, lors du Sommet de la Francophonie à Erevan. Encore une fois, l’intervention de la vice-Ministre de l’Economie et du Développement a été déterminant : Mme Mané Adamyan a été vite convaincu de l’apport essentiel de RINA au développement numérique du pays. En une journée, elle a convaincu ses collègues dont le 1er ministre et ensuite le Président que ce projet était une réelle opportunité pour le pays.
Lors de la clôture du Forum Economique l’annonce était faite conjointement par Sartdoon, Louis Pouzin et le 1er ministre : le projet RINArmenia était lancé. Comprendre, développer et créer des développements sous RINA ; connecter peu à peu le pays dans cette nouvelle technologie ; partager ses connaissances en développant le 1er centre de formation RINA au monde.
BB : Mi-février a eu lieu le lancement du projet ; Il va durer environ six mois. Pouvez-vous nous en dire un peu plus : nombre de chefs de projets, leur profil et concrètement, en quoi consiste leurs activités, leurs outils ? Difficultés rencontrées, échanges avec les « locaux » ?
CL : L’occasion d’un colloque à Paris avec la présence de tous les chercheurs et responsables de RINA a permis une rencontre avec l’équipe arménienne en cours de création. Il a été décidé de faire venir la jeune équipe nouvellement embauchée de RINArmenia. Autour de son chef de projet, Hayk Mnatsakanyan et de son directeur, Philippe Poux, Louis Pouzin et moi-même en tant que membres fondateurs, nous avons tous travaillés sur les choix technologiques à venir ainsi que le calendrier de développement.
BB : Quelle est votre perception de l’avenir ? Avec son nouveau centre de formation, l’Arménie va-t-elle devenir la référence pour Rina ou bien il faudra encore convaincre le reste du monde ?
CL : Le projet RINArmenia est certes dédié à un pays très particulier : petit, enclavé, multilingue, avec une forte diaspora très attentive à son développement et surtout un creuset de personnes formées au numérique.
Ce modèle peut être dupliqué dans d’autres pays mais il restera à créer les conditions de développement qui soient aussi favorable qu’en Arménie. Ce peut être notamment le cas de pays avec un fort pourcentage de population jeune et formée.
Nous ne pouvons « convaincre » mais expliquer, développer. Les sceptiques risquent encore une fois de voir le train passer mais c’est la règle du jeu dans le numérique : tout va vite, il faut tenter et prendre des risques si l’on veut avancer et découvrir de nouvelles sources de développement. Personne n’ira tirer par la manche des « sceptiques », c’est à eux de s’ouvrir au monde et de profiter de ce formidable mouvement en avant qu’offre RINA.
BB : Pour quelles raisons RINA demeure insuffisamment connu en France ?
CL : La hiérarchie pyramidale française n’aide pas à un développement d’une technologie qui demande une nouvelle réflexion sur le numérique. Trop « engluée » dans des relations de pouvoir entre les utilisateurs et les « sachant » numériques, il est difficile pour beaucoup de se remettre en question. Il reste cependant une frange des décideurs qui se posent de vraies questions, dont celle de la solidité de TCP/IP. Tout n’est donc pas perdu pour un développement de protocoles RINA en France.
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