Un grand déballage mais pas de grand débat du nouvel âge 1/2

Le grand débat, voulu par Emmanuel Macron, suite au mouvement des gilets jaunes, a remporté un succès populaire, si l'on se réfère aux chiffres de participation : 10.000 réunions rassemblant 400.000 participants sur tout le territoire, 1,4 millions de contributions sur le site internet.
Un exercice inédit de participation citoyenne. Aucune grande démocratie moderne ne s’était lancée dans une telle aventure.
Même si l’élan doit être tempéré par le scepticisme des Français qui les amène à penser à hauteur de 70% d’entre eux que le Grand débat ne résoudra pas la crise politique et à hauteur de 63% que leurs points de vue exprimés ne seront pas pris en compte.

Quels sont les enseignements que les commentateurs tirent de ce grand débat ?

  • Premièrement, le fait que la fiscalité ait été un sujet principal. Il s’est soldé par des propositions de meilleur rapport qualité prix pression fiscale / qualité du service public et de hausse d’impôts ciblant les « riches ».
    Il s’agit d’un chantier majeur, alors que l'exécutif ne dispose  pas de marges de manoeuvre.
  • Deuxièmement la préoccupation environnementale, qui dépasse largement le grand débat comme le montrent les 2 millions de personnes qui ont signé  la pétition « l'affaire du siècle » la mobilisation des lycéens ou  l'initiative prise par Laurent Berger et Nicolas Hulot, soutenue par une soixantaine d'associations.
  • Le troisième enseignement de ce débat est que son succès permet de reparler de la démocratie participative.

La fragmentation de la société française est sans précédent.
Des mots emblématiques et récurrents  illustrent  le malaise de la société : fractures, privilèges, éloignement, fins de mois.
La crise des gilets jaunes  révèle une fragmentation multiple de la société française.
D'abord sociale, avec des catégories modestes assez représentées dans le mouvement alors que les personnes plus aisées le regardaient avec distance.
Une fracture territoriale ensuite, qui se double d'un clivage sur les modes de vie.
Le déclencheur de cette crise a été la hausse des taxes sur les carburants, et la France qui s'est mobilisée est celle des ronds-points, de l'étalement urbain, la France de la voiture.
En face, on retrouve les gens pour qui la voiture n'est plus centrale. La fracture est aussi celle de la France diplômée, qui a regardé de très loin ce mouvement animé par des gens moins éduqués.
Enfin, dernière fracture, on a vu que la tentative de la gauche de la gauche d'opérer une jonction entre les  gilets jaunes  et le mouvement syndical et la France des banlieues a échoué. La France qui s'est mobilisée est celle du travail, qui a peur du décrochage. Alors que les habitants des banlieues, pour une partie significative, vivent avec des aides sociales.
Les gens des banlieues ne se sont pas reconnus dans les visages et les slogans des gilets jaunes.

Quel est mon sentiment face à ce grand débat ?

Une chose me frappe avant tout. Les revendications, les propositions et les commentaires  ne s’inscrivent pas, à ma connaissance, dans une prise en compte du nouveau paradigme économique de la troisième révolution industrielle de 1980. Or là était l’essentiel.
Le monde est entré depuis les années 1980 dans la troisième révolution industrielle avec comme intrants la donnée, la data, les processus normés et informatisés.
Les intrants des deux premières révolutions industrielles de 1780 puis 1880 étaient la vapeur, l’électricité.
Cette troisième révolution industrielle, la France l’a ratée.
Ou sont parmi nos élites les penseurs des transformations en cours, les éclaireurs de l’avenir, les pédagogues du changement ?
Face à ces retards, ces blocages et ces défis la société civile a un rôle à jouer. L'heure est au changement de logiciel dans la sphère politique.
Nos institutions, inspirées par le Conseil National de la Résistance, ont été rédigées pour servir le précédent modèle économique : l’économie fordiste de la deuxième moitié de la deuxième révolution industrielle : économie de masse : masse de travailleurs de la grande entreprise pyramidale, normalisée, hiérarchisée, optimisée, cadencée par l’organisation scientifique du travail, fabricant des produits standardisés, faisant l’objet d’une consommation de masse sur des marchés grand public.
Il faut bâtir les Institutions permettant l’épanouissement et l’équilibre social du paradigme de l’économie numérique du règne de la donnée à l’ère de la multitude, de l’homme augmenté et de l’entreprise étendue, de l’innovation continue et du développement des territoires
Nous assistons au passage de l'ère de la main d'œuvre du XXème à l'ère du "cerveau d'œuvre" du XXIème siècle.
De ce fait nous entrons dans la vague d'innovation ou destruction créatrice la plus forte de l'histoire de l'humanité.
Ce qu'on nome " numérique" n'est pas seulement une technologie et encore moins un secteur parmi d'autres. Cette informatique optimisée bouleverse la manière de produire et de consommer. Elle permet un rapprochement inédit de l'offre et de la demande.
Elle transforme l'intermédiation.
L''homo numericus ne se rend plus seulement sur internet. Il se trouve à l'intérieur de l'écosystème internet. L'action, l'attitude, la place de l'homme siècle sont différentes dans l'économie numérique du XXIème et dans l'économie fordiste du XXème siècle.
L’homme est plonge dans un paradigme nouveau. Ce paradigme impose à l'ensemble de l'économie un changement de fonctionnements, usages et de méthodes. Elles sont directement liées à la mise en réseau des individus.
À terme, toute l'économie sera informatique et dominée  par des entreprises numériques, qui capteront l'essentiel de la création de valeur ajoutée dans des chaînes de valeur recomposées.
Les élections présidentielles de mai puis législatives de juin 2017 et plus récemment le Grand débat constituaient une formidable opportunité pour des acteurs volontaires de la société civile, experts dans leur domaine, de prendre leurs responsabilités de s’exprimer et d’agir pour leur pays.
Le grand débat aurait du être l’occasion d’un élan collectif, un élan capable de réinventer la France face aux défis du passage de l’économie fordiste à l’économie numérique.
Car il est nécessaire d’accompagner le citoyen, l’agent économique et particulièrement l’entrepreneur et l’aider à connaître les bases de l’économie et comprendre le nouveau modèle de la troisième révolution industrielle informatique.
L'idée de mobiliser les savoirs faire et les savoirs être de membres de la société civile à partir des territoires pour construire des solutions micro-économiques locales correspond aux défis de l’économie contemporaine : une approche girondine complétant l'attitude jacobine des politiques macro-économiques d'Etat.
Je pense que ces occasions ont été manquées.
Le débat a permis temporairement au président et à son gouvernement de sortir d'une impasse.
Impasse issue de la conjonction du mouvement des gilets jaunes avec l'absence de résultats encore tangibles des réformes entreprises. La phase « active » du quinquennat était déjà close alors que le mandat du précédent était à peine commencé,
On peut espérer une forme de relégitimation du chef de l'Etat surtout si La République en Marche réalise le meilleur score aux élections européennes.
Il reste à surmonter l'obstacle le plus périlleux : celui des réponses apportées par l'exécutif à ce grand déballage démocratique.
Le risque est qu'on évalue leur pertinence principalement au regard des milliards qui pourraient être prélevés ici et distribués là, au côté spectaculaire des gestes politiques ou institutionnels les accompagnant, ou au nombre de concessions faites pour les enrober.
Le risque est qu’on oublie que la démagogie, ce poison de la démocratie, consiste à prétendre pouvoir répondre à tout, y compris aux non sens, contre sens, erreurs et mauvaises questions. Or les avis, exigences, revendications, contributions exprimées lors du Grand débat en regorgent. C’est un piège à ne pas négliger.
La multitude de revendications contradictoires apparues au fil des derniers mois a trahi la fragilité de la culture économique des Français.
Cette faiblesse de connaissance économique de nos concitoyens et ignorée par eux-mêmes.
Elle est notre principal ennemi. Elle conduit les Français à nier ou sous-estimer la part considérable jouée par l'économie de marché dans leurs acquis sociaux. Elle les amène à ignorer combien en bafouant les règles et fondamentaux de l'économie de marché, ils exposent ces acquis à une menace fatale.
Il est indispensable de dénoncer cette ignorance en économie de nos concitoyens et de plaider pour l’économie de marché revisitée par le nouveau paradigme de la troisième révolution industrielle de 1980.
La tâche de l'exécutif est non seulement complexe, mais elle porte en elle-même ses propres contradictions.
Le gouvernement doit à la fois apporter des réponses concrètes à court terme, ouvrir des chantiers à moyen terme comme la refonte de la loi NOTRe sur les collectivités locales et penser le long terme et la suite du quinquennat.
A cette crise protéiforme, Emmanuel Macron devra apporter un éventail large de réponses.
Il doit à la fois aller vite pour répondre à l'urgence, mais aussi prendre le temps de poser un diagnostic pertinent sur les maux les plus profonds dans notre pays, qui doivent être pris en considération.
Le tout avec une marge de manoeuvre budgétaire plus que réduite - il ne faut pas oublier que  dix milliards d'euros ont déjà été lâchés en décembre pour apporter une première réponse à la crise – et un déficit public de 100% du PIB.
Avec un contexte politique qui reste tendu et une France plus fragmentée que jamais, sans oublier l'environnement préélectoral, avec les  élections européennes fin mai.
De la réussite de cet atterrissage dépendra la suite du quinquennat. Les premières décisions seront connues mi-avril.

Plaidoyer pour l’économie de marché

Dans l’histoire du XXème siècle, l’économie de marché s’est trouvée au cœur de la plupart des « miracles » économiques.
Toutes les autres tentatives d’organiser la production et la distribution des richesses d’une nation se sont achevées par des fiascos.
Tirant le bilan de cent ans de capitalisme dans son article « A Century of Unrivalled Prosperity », l’économiste du MIT, Rudi Dornbusch écrivait en 1999 que ce système, certes loin d’être parfait, nous avait assuré, à nous citoyens de l’occident libéral, « des vies meilleures et plus riches que celles que nous aurions pu imaginer dans nos rêves les plus fous ».

- Ce fut le cas dans l’Europe dévastée de l’après-guerre.

Battue et ruinée par la terrible aventure nazie, l’Allemagne peinait à s’en remettre. Ludwig Erhard, futur chancelier mais à l’époque responsable de l’organe transitoire de régulation financière, décida seul, en une nuit de juin 1948, d’abolir tout contrôle des prix et de laisser pleinement jouer les mécanismes du marché. A la tête des forces occupantes, le général Lucius D. Clay lui lança, apprenant la nouvelle : « Monsieur Erhard, mes conseillers me disent que vous avez commis une folie. Que répondez -vous ? » La réponse de l’homme de « l’économie sociale de marché » est restée fameuse : « Général, ne faîtes pas attention à eux, mes propres conseillers m’avaient dit la même chose ». Il venait de poser les bases d’une reconstruction dont l’aboutissement est la domination économique allemande sur le continent européen.

- Ce fut le cas en Chine.

L’hiver dernier, sur la route du G20 de Buenos Aires, Xi Jiping, le président chinois, faisait une escale à Madrid, pour s’adresser à des dirigeants européens.
Le leader du plus grand pays communiste encore existant sur la planète avait un seul message à leur faire passer : battez-vous pour défendre le libre marché et la globalisation !
« Seul ce choix permettra de préserver la paix et la prospérité dans le monde » expliqua-t-il à un auditoire inquiet des bruits de guerre tarifaire venus de Washington et Pékin.
En passe de devenir la première puissance mondiale, son pays doit cette heureuse fortune au choix fait, il y quarante ans, par Deng Xiaoping, de passer, selon ses propres mots, de « l’économie socialiste planifiée » à « l’économiste socialiste de marché ».
A l’époque, la Chine ne pesait pas plus qu’en 1949 en termes de part du PIB mondial, autour de 3%, ayant subi trente années de stagnation.
Elle en représente aujourd’hui 17%, après avoir aligné jusqu’en 2008 trois décennies de croissance supérieure à plus de 10% par an. Formidable exploit, certainement sans précédent, à une telle échelle.

- Ce fut le cas aux Etats-Unis.

C’est aussi par le retour aux fondamentaux du marché que l’Amérique s’est sortie d’une maladie de langueur qui l’avait frappée à la suite des chocs pétroliers des années 1970.
La révolution se fit d’abord intellectuellement avec les contributions majeures à la science économique de Milton Friedmann, présentant ses thèses lors d’une adresse à l’association des économistes américains en décembre 1967, et de Robert Lucas, dans un article retentissant du Journal of Economic Theory en 1972.
Les deux représentants de « l’école de Chicago » partaient tous les deux en guerre, l’un par le monétarisme, l’autre par la théorie des anticipations, contre l’interventionnisme étatique dans l’économie. Ouvrant la voie à la révolution libérale de Ronald Reagan, qui remit la croissance américaine sur les rails, et à sa forme britannique, le thatchérisme, qui sauva le Royaume Uni du « British desease » de la décennie 1970.

Pour toutes ces raisons l’économie de marché mérite de figurer parmi les succès inventés par l’homme.
Pourtant en ces débuts du XXIème siècle, l’économie de marché est critiquée et remise en question.
Sa place est à la fois consacrée par le monde et violentée par les nations.
Le chaudron en ébullition qu’est la France depuis plusieurs mois ne se limite pas à des enjeux nationaux, solubles dans le grand débat initié par le président Emmanuel Macron pour tenter d’éviter qu’on ne finisse par jeter le bébé avec l’eau du bain.
La place du marché libre dans les systèmes économiques nationaux et internationaux est une clé décisive de l’avenir du monde.

L‘expression « économie de marché » reste un peu floue dans la littérature économique.
On peut la définir comme un système économique dans lequel les biens, les services et les capitaux s’échangent librement, et les prix se fixent en fonction de la loi de l’offre et de la demande.
Ce système repose sur deux piliers : décentralisation et concurrence.
Or ces deux piliers sont désormais fragilisés.

  • La décentralisation : il est de plus en plus dangereux de piloter les économies modernes, comme tout système complexe, à partir d’une tour de contrôle centralisée.
    Si les règles du jeu doivent être centrales, mieux vaut que le jeu reste local.
    On connaît le précepte : « Think global, act local ».
    D’ailleurs, la crise politique que traverse actuellement la France est aussi dirigée contre une excessive centralisation et la mainmise de ce que Raymond Barre appelait le « microcosme parisien ».
    Mais curieusement les contestataires réclament simultanément plus de pouvoir local et plus de soutien de L’Etat-Providence, donc du pouvoir central.
    C’est l’une des contradictions qu’il faudra résoudre malgré ses contradictions.
  • La concurrence : le pouvoir économique suit les mêmes règles de bon sens que le pouvoir politique. Montesquieu expliquait que tout détenteur de pouvoir est porté à en abuser s’il n’est pas limité par des pouvoirs concurrents.

Le monopole économique, comme le monopole politique, conduit très naturellement à la dictature. Le plus souvent d’ailleurs, les deux dictatures finissent par se conjuguer.
Là est le vrai danger du populisme, mariant pouvoir autoritaire et protectionnisme économique.
Durant plus de deux siècles, l’économie de marché n’a cessé de s’affirmer et de fertiliser le monde.
Elle ne s’est pas limitée à étendre sa victoire géographique à l’ensemble des nations, elle s’est perfectionne magistralement grâce au progrès technologique qui balaie les frontières.
En ces débuts de XXIème siècle se développe la digitalisation, qui est l’aboutissement de la mondialisation. Car la faculté pour une grande part de la planète de disposer sur son smartphone de l’ensemble de l’offre mondiale assure la consécration, inédite jusqu’ici, d’un système de concurrence pure et parfaite qui n’existait que dans les livres.
Cependant, tandis que l’économie de marché ne connaît aucune alternative crédible, elle affronte une contestation profonde et généralisée dans nombre de pays de l’ancien monde. Comme si le système de libre concurrence ne pouvait survivre.

Du coup, les systèmes d’économie libre ont internalisé leur propre adversité.
Adversité schizophrénique car il est dans leur mission de favoriser le consommateur en contraignant le producteur, donc le travailleur, qui pourtant ne font qu’un.
La théorie économique a posé l’équation du problème sans le résoudre.
Le théorème de l’avantage comparatif de Ricardo et son prolongement sophistiqué par le modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson démontrent les bienfaits universels du libre-échange, du commerce international et de la division internationale du travail.

Ceci justifie pleinement la mondialisation dans l’intérêt de tous.
Paul Samuelson, dont le Manuel a formé plusieurs générations à l’économie, et que je possède dans ma bibliothèque, schématisait cette théorie.
Dans la « vraie vie » de la mondialisation, on a vu les ouvriers américains atteints dans leur emploi et leurs revenus par leurs homologues chinois, et la technologie chinoise écrasée par celle des chercheurs et ingénieurs américains.
La réaction aura été aux Etats-Unis l’élection de Donald Trump, avec son initiative de conflit commercial avec la Chine. Et réciproquement l’accélération spectaculaire des progrès de la technologie chinoise, désormais en pointe sur des domaines aussi stratégiques que l’intelligence artificielle.
Il n’aura pas fallu plus de 25 ans pour que le libre-échange et la division internationale du travail commencent à se briser sur le récif des résistances nationales. Résistance du travailleur mais complaisance du consommateur.
Les occidentaux, en tant que consommateurs, ont empoché depuis trente ans le gain considérable de pouvoir d’achat que leur procurait les importations émergentes sur les produits textiles, ménagers, électroniques etc.…
Mais ils ont aussi violemment ressenti, en tant que travailleurs, les douleurs de la concurrence internationale qui les privait au mieux de la hausse de leur rémunération, au pire de leur emploi.
Or, en matière économique et sociale, comme en matière climatique, la température ressentie est celle qui compte, bien plus que l’indication objective du thermomètre.
Le travailleur aigri et le consommateur ingrat forment les légions du populisme qui s’en prend au marché et dénonce le « grand capital ».
L’opinion courante ne fait guère de distinction entre le libéralisme et le capitalisme.
Le Larousse définit d’ailleurs le capitalisme comme un « système de production dont les fondements sont l’entreprise privée et la liberté du marché ».
Intuitivement, on sent bien la proximité entre la liberté d’entreprendre et celle d’échanger. D’ailleurs, dès la Renaissance, les féodalismes ont laissé progressivement place aux ferments du modèle actuel, libéral et capitaliste, celui de la bourgeoisie naissante.
Ce sont   les commerçants et les entrepreneurs, non les Etats, qui ont formé l’économie marchande moderne.
Pourtant, techniquement, dans la fonction de production capital-travail, le capitaliste peut être une collectivité, le plus souvent l’Etat.
D’où le terme « capitalisme d’Etat » qui devient presque inévitablement un « capitalisme monopoliste d’Etat », car l’actionnaire unique assimile la concurrence à un gaspillage cannibale.

Inversement, la trajectoire de l‘économie de marché dans une économie socialiste, comme celle bouleversante initiée par Deng Xiaoping, aboutit finalement à la formation d’une classe de capitalistes.
Le pays du monde qui fabrique aujourd’hui le plus grand nombre d’ultra-riches est évidemment la Chine Populaire ! Sur la liste 2018 des 259 nouveaux milliardaires de l’année dans le monde établie par Forbes, près de 88 viennent de l’Empire du Milieu, deux fois plus que les Américains.
En outre, la phase ultime du système décentralisé de libre-échange est forcément la finance comme l’avait parfaitement anticipé Joseph Schumpeter.
Le troc fait bon ménage avec l’étatisme, tandis que l’échange monétaire est vital pour l’économie de marché.
Les critiques contre l’envahissement de la finance dans le monde actuel ne sont autres que celles de la globalisation des marchés de biens et services.
Mais le système de poupées russes qui conduit du marché au capital, puis à la finance, ne fait que grossir la colère des peuples.
Alors que Marx s’était trompé sur l’avenir du capitalisme, il avait bien anticipé la lutte des classes.
Le travailleur meurtri par la mondialisation, oublie qu’elle l’a servi comme consommateur, et ne voit en elle que le profit du détenteur de capital.
La digitalisation, stade ultime du libre-échange mondial et de la liberté d’entreprendre, entraîne un fulgurant enrichissement capitalistique et accentue la révolte.
En prétendant que 26 milliardaires détiennent la moitié du patrimoine mondial, plus que les 3,8 milliards des plus pauvres de la planète, Oxfam a parfaitement atteint son but : un véritable scandale médiatique.
Sachant qu’il est à peu près aussi hors sujet de dire « pour vaincre l’extrême pauvreté il faut vaincre l’extrême richesse ».
Le chiffre le moins contestable, c’est qu’en vingt ans 700 millions de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté. Et malgré l’accroissement des inégalités, les classes moyennes qui comptaient 1,8 milliard de personnes en 2009, dépassent maintenant les 3 milliards.

Il est clair que même si la mondialisation des échanges de biens et services traditionnels est en recul, celle de l’internet ne fera que s’étendre, exigeant des capitaux massifs pour une concurrence massive, en fabricant des fortunes massives.
Le modèle bâti par la social-démocratie en Europe, modèle en crise aujourd’hui, pourrait ne pas survivre à l’insuffisance du capital nécessaire pour bâtir un empire digital européen, capable d’affronter l’impérialisme numérique américain ou chinois actuels, et sans doute demain indien, coréen, ou même africain.
La recommandation de certains économistes comme Thomas Piketty de taxer sévèrement le capital est un contresens historique bien français, comparable à ce qu’a été naguère le partage du travail.
Comme à l’accoutumée, aucun accord international ne sera jamais trouvé sur une taxation mondiale.
Et la France, surtout si à force de surenchères à gilets jaunes elle faisait basculer l’Europe dans le populisme, deviendrait le dindon de la farce mondiale.
Ce qui est insupportable n’est pas le capitalisme mais sa concentration.
L’accumulation du capital qu’exige la mondialisation digitale devrait suggérer la formation d’un véritable capitalisme de masse européen, arme de guerre aussi valeureuse que redoutable pour nos grands concurrents.
La France, confrontée au débat idiot sur le rétablissement de l’imposition confiscatoire du capital, devrait initier ce mouvement visant à favoriser massivement la naissance du capitalisme populaire en Europe.
On pourrait songer, par exemple, à utiliser le trésor de guerre accumulé par la BCE dans la lutte contre les risques de déflation et de défaut souverain (2.650 milliards d’euros de titres en trois ans et demi…) pour constituer un fonds d’investissement digital.
Ce fonds souverain serait, à l’origine, propriété des Etats membres de la zone euro.
Puis ceux-ci pourraient prendre une initiative commune attribuant tout ou partie de l’actionnariat du fonds aux classes populaires.
Ceci n’est certainement pas simple, mais les efforts de guerre sont toujours exigeants si l’on ne veut pas être défait.
Or la guerre digitale exige la conscription d’une armée de capitalistes plutôt que les lignes Maginot des populistes.
Sinon la contestation radicale de l’économie de marché risque de conduire à des aventures comme celles des années trente, qui menaceraient non seulement la prospérité économique et sociale, mais aussi la démocratie politique. Rappelons qu’elles constituent toutes deux le pire des régimes à l’exception de tous les autres.
Mais à l’évidence, même si ce plaidoyer pour l’économie de marché est indispensable, il faudra bien que cette économie de marché se transforme pour survivre.
Il est manifeste que le libre-échange mondial est en cours de mutation.
Même si Donald Trump invoque légitimement l’échange inégal avec la Chine pour justifier sa remise en cause du commerce avec elle, c’est un prétexte hypocrite pour négocier une sorte d’accord de troc équilibré.
L’économie de marché multilatérale et décentralisée deviendrait ainsi une négociation centralisée entre les empires.
Le renforcement de paraît sans conteste la seule réponse crédible à cette national-mondialisation qui s’annonce, où face aux blocs américains et chinois rien ne résiste à l’échelle d’un seul pays.
Le nationalisme étriqué de certains des membres de l’Union Européenne est une tentation illusoire et suicidaire.
Par ailleurs, la secousse du digital sera bien plus forte encore que celle de la concurrence émergente.
L’ouvrier chinois a vu sa rémunération et son coût s’élever, entraînant le rapatriement de nombre de productions dans certains pays riches, accéléré d’ailleurs par la robotisation.
Or, à la différence du travailleur émergent, la « rémunération » des intelligences artificielles ne cesse de baisser, et de challenger son concurrent humain.
D’autant que l’intelligence artificielle attaque le secteur des services et avec eux les travailleurs qualifiés.
Avant que l’homme trouve une place nouvelle auprès de l’intelligence artificielle, il faudra du temps, de l’éducation et de la protection. Désarticuler trop vite l’Etat-Providence dans les pays riches serait dans ces conditions dangereux.
Pour l’enjeu climatique, il faudra aussi une articulation plus pertinente des Etats et du marché. L’Etat français a mis le feu aux poudres chez les gilets jaunes avec la taxe carbone.
De façon générale, les interventions désordonnées à coups de taxes, de normes et de subventions se transforment vite en usine à gaz explosive.
L’étatisme climatique conduit au conflit social, au déni populiste ou au handicap économique pour un pays de taille moyenne comme la France seule, sans l’Europe.
En réalité, un tel enjeu ne peut se passer ni des Etats, ni des forces du marché.
Un marché fortifié par l’innovation énergétique dans les modes de production et de consommation.
Et comme pour le digital, la défense climatique pourrait recevoir le renfort d’un fonds d’investissement souverain, créateur d’intelligence énergétique.
Donc pour sauver la planète, pas d’Etat seul car il contraint et pas de marché seul, car la vertu climatique coûte cher.
Comme pour le digital, il serait pertinent d’associer à la création de valeur économique et financière, une création de valeur sociale en organisant la participation des classes moyennes au capital de ce fonds européen.
L’énergie durable sera forcément très rentable.

 

< Revenir à la newsletter

Auteur: 
Christophe Dubois-Damien Président de l’Atelier Intelligence économique

Ajouter un commentaire

Full HTML

  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Vous pouvez utiliser du code PHP. Vous devrez inclure les tags <?php ?>.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Filtered HTML

  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Tags HTML autorisés : <a> <em> <strong> <cite> <blockquote> <code> <ul> <ol> <li> <dl> <dt> <dd>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.