Un grand déballage mais pas de grand débat du nouvel âge 2/2

Forum ATENA a participé au grand débat sous la forme du grand débat des think tanks du numérique. Philippe Recouppé, son président l’a décidé. Geneviève Bouché, présidente de l’Atelier Etat Plateforme de Forum ATENA en a été à l’initiative. Elle en a assure l’organisation.

Ce grand débat des think tanks du numérique a eu lieu le 6 mars 2019 de 18h30 à 21h30 à Télécom Paris Tech 46 rue Barrault Paris 13ème.
Forum ATENA était entouré d’autres think tanks du numérique : L’IREST, INNOCHERCHE, LA FABRIQUE DU FUTUR, FRENCH ROAD, FORUM DES JETONS.

Les thèmes choisis par les think tanks étaient les suivants :

  • FORUM ATENA  : « Un autre numérique est possible. »
  • L’IREST : « Les réseaux pour tous ».
  • INNOCHERCHE : « La mobilité »
  • LA FABRIQUE DU FUTUR : « La gouvernance et la confiance »
  • FRENCH ROAD : « La citoyenneté efficace »
  • FORUM DES JETONS : « Vers une autre idée de la monnaie ».

Grande participation du public, questions et remarques intéressantes.
Synthèse, vote final et conclusion ont suivi.

« Un autre numérique est possible ! » le speaker était Philippe Recouppé, président de Forum ATENA. J’ai occupé le poste de modérateur en charge de solliciter les réactions du public.
Philippe Recouppé m’a proposé d’avancer mes idées sur le sujet. Je le fais à travers cette article dans la newsletter.
Derrière le titre choisi pour ce grand débat par Forum ATENA une pensée :
Pourquoi nous français s’est t’on laissé imposé un modèle numérique ?
Derrière cette question apparaît la souveraineté numérique et plus exactement la souveraineté à l’épreuve du numérique.
La souveraineté de l’homme, la souveraineté de l’entreprise, la souveraineté de l’Etat sont mises à l’épreuve par les possibilités du numérique.

  • Comment le citoyen, peut-il rester souverain de sa propre vie quand à partir des données qu’il laisse sur internet, il est tracé, surveillé, influencé, positivement certes mais aussi négativement ?
  • Comment l’entreprise peut-elle être souveraine dans sa stratégie quand elle ne peut pour survivre se passer d’un système d’information et que par définition ce système d’information est vulnérable et que ce système d’information peut être contrôlé par l’extérieur en plein guerre économique ?
  • Quel sens peut encore avoir la souveraineté de l’Etat ?

La souveraineté est le droit d'exercer une autorité législative, judiciaire et administrative sur une nation ou un peuple.
La Monarchie de droit divin, puis la République ont légitimé cette souveraineté.
Aujourd’hui Internet, le Big data, les interconnexions, et les algorithmes complètent la libre circulation des personnes et des biens par les échanges virtuels au sein de la société de l’information et de la connaissance.
La souveraineté numérique est un des sujets stratégiques essentiels de ce début du XXIème siècle. Une réflexion est à conduire sur les fondements de l’économie, de la culture et du système politique face au paradigme de l’économie dite « numérique » ou « digitale », en fait une économie informatique anthropologique.
Avec Forum ATENA, j’ai organisé à Sciences-Po le 27 juin 2017 une journée sur ce thème de la souveraineté numérique : 25 intervenants 250 participants.
Quel sens peut encore avoir la souveraineté de l’Etat ?
La souveraineté est le droit d'exercer une autorité législative, judiciaire et administrative sur une nation ou un peuple.
La Monarchie de droit divin, puis la République ont légitimé cette souveraineté.
Internet, le Big data, les interconnexions, et les algorithmes complètent la libre circulation des personnes et des biens par les échanges virtuels au sein de la société de l’information et de la connaissance.
Pour appréhender la souveraineté numérique, il faut comprendre la troisième révolution industrielle. Le monde y est entré dans les années 1980.
L’intrant de cette troisième révolution est la donnée, le processus normé et informatisé. L’intrant de la  première révolution industrielle en 1780 était la vapeur.
L’intrant initial de la deuxième révolution industrielle de 1880 était l’électricité puis dans sa deuxième partie un second intrant : le pétrole.
Pourquoi nous français s’est t’on laissé imposé un modèle numérique ?
Parce que la France a raté cette troisième révolution industrielle.
Ou ont été dès les années 1980 1990, parmi nos élites les penseurs de ces transformations, les éclaireurs de l’avenir, les pédagogues du changement ?
Face à ces retards, ces blocages et ces défis, la société civile a un rôle à jouer.
L'heure est au changement de logiciel dans la sphère politique.
Et c’est là la mission des Think tanks du Numérique.
Nos institutions actuelles ont été inspirées par le Conseil National de la Résistance. Elles ont été rédigées pour servir le précédent modèle économique : l’économie fordiste de la deuxième moitié de la deuxième révolution industrielle : économie de masse : masse de travailleurs de la grande entreprise pyramidale, normalisée, hiérarchisée, optimisée, cadencée par l’organisation scientifique du travail, fabricant des produits standardisés, faisant l’objet d’une consommation de masse sur des marchés grand public.
Maintenant, il faut bâtir les Institutions pour servir le nouveau modèle économique de la troisième révolution industrielle de 1980.
Des institutions permettant l’épanouissement et l’équilibre social du paradigme de l’économie numérique du règne de la donnée à l’ère de la multitude, de l’homme augmenté et de l’entreprise étendue, de l’innovation continue et du développement des territoires.
Permettre l’élaboration démocratique et la mise en place de ces Institutions est le rôle des politiques.
Face à l’émergence puis l’amélioration d’efficacité des algorithmes d'intelligence artificielle, il faut définir quelles seront les règles communes de vie en  société, quelle sera l’espace pour la vie privée et la solidarité.
Les réponses à ces questions n'ont pas à être données par les américains ou les asiatiques à la place des européens.
Ce serait délaisser la vision de notre société à d'autres.
Ce serait un abandon complet de notre culture, de notre indépendance, de nos libertés et de notre avenir.
A l'ère de l'internet et ses dérivés : les objets connectés, l'intelligence artificielle, la blockchain et autres innovations futures, il est grand temps que la France se dote d'une véritable et ambitieuse politique de souveraineté numérique. Le défi est également européen.
Les sujets de souveraineté numérique sont des enjeux absolument majeurs.
On constate une asymétrie de réflexion stratégique de part et d'autre de l'Atlantique sur ces questions.

À la fin des années 1980, les Américains ont réfléchi et l'ont fait à la mode américaine, comme ils savent très bien le faire. C'est-à-dire en réunissant le monde académique, des chercheurs, le monde universitaire, le monde industriel, le monde militaire.
Ils ont fait travailler les gens pendant plusieurs mois sur le thème : « Quels seront les instruments de la domination américaine au XXIe siècle ? »

En gros les conclusions qui ont émergé de tout cela, ça été que si les infrastructures physiques avaient été probablement des leviers de domination très puissants au XIXème et XXème siècle, il était vraisemblable que avec les autoroutes de l'information ce qui marquerait la domination au XXIème siècle ce serait la maîtrise des infrastructures cognitives et numériques.
Nous sommes face à un tournant, nous sommes au lendemain de la chute du mur de Berlin.
Si vous regardez du début des années 1990 jusqu'au milieu des années 2000, vous avez quasiment tous les ans une décision en matière de politique publique américaine absolument majeure. Et ces décisions tirent toutes dans le même sens.
Libéralisation du GPS, exonérations fiscales en 1998, fléchage en réalité des mécanismes d'évasion fiscale utilisés par toutes les plates-formes numériques, création de l’ICAN, constitution d'un nombre de fonds investissant dans quasiment toutes les grandes licornes, qui sont devenues dominatrices aujourd’hui.

Tout ça pour dire que d'un côté il y a des gens les américains qui se sont posés en fait les bonnes questions.
Pourtant ils n'ont pas plus de ressources intellectuelles ou industrielles ou financières que nous les européens.
En réalité, il y a plus d'épargne en Europe qu’aux États-Unis, il y a de très bons ingénieurs ici et des inventeurs, innovateurs.
En réalité ce qui nous manque c'est qu'on est incapable d'agréger toutes ses forces, de penser stratégie et une fois que l'on a dessiné une stratégie d’en découler en réalité des politiques publiques.
Pour moi, c'est cela. C’est cette asymétrie de réflexion stratégique.
On n'est pas dans la recherche pure, on n'est pas dans l'industrie pure, on est en réalité dans quelque chose à la confluence entre la réflexion, la recherche, le travail des think tanks, des décisions de politique publique leur implications industrielles.
Et ça les américains savent le faire et pas nous.
Et l’Europe est victime d’une lacune supplémentaire : la difficulté à faire émerger un intérêt collectif européen.
Ce n’est pas nouveau et pas liée directement au sujet numérique.
Je voudrais insister sur les questions de souveraineté numérique sur les autres enjeux, qui ne sont pas nécessairement lié à la data.
Je voudrais m’appesantir sur quelques  autres détails qui me semblent importants.
Aux sources des Etats il y a le vote de l'impôt et la capacité à le lever.
Cela veut donc dire que la souveraineté numérique commence sur la capacité à faire fonctionner sa fiscalité. Il y a là un énorme sujet.
Le jeu très pervers des mécanismes de propriété intellectuelle, qui sont en réalité construits et réglementés par les Etats et qu’un certain nombre d’entreprises retournent contre les Etats en sapant leurs bases fiscales. On marche sur la tête d’une certaine manière.
Et on peut dire aujourd'hui que si une partie de l'innovation du monde numérique notamment américain se fonde en réalité en termes de financement en tout cas pour partie sur cette évasion ou cette optimisation fiscale à un niveau industriel, cela pose en fait la question de la durabilité du développement du modèle de l'économie numérique.
Parce que si vous avez un premier marché européen de 500 millions d'individus qui fonctionne aussi bien et qui en réalité attire énormément ces grandes plates-formes, c'est parce que vous avez 500 millions d'Européens qui sont éduqués, en bonne santé et qui ont du temps libre.
Ces trois choses sont financées plus ou moins en réalité par les impôts.
Ça veut dire que si les bases fiscales continuent à s'éroder les européens seront moins éduqués ils auront moins de temps libre, moins de protection sociale. Et de ce fait, ce seront moins des contributeurs au marché mondial du numérique.
Ça veut donc dire que là aussi cette prise de conscience doit nous amener à muscler nos réponses. Que ce soit au sein de l'OCDE ou ailleurs, il y a plusieurs choses qui ont été décidées ces derniers années. Cela nous appelle à avancer.
Alors enfin peut-être un dernier point il ne faut pas donner un tableau totalement apocalyptique. J'en ai deux ou trois exemples.
Les choses vont très très vite. Ceux qui sont dominants aujourd'hui ne le seront pas forcément dans cinq ans. Cela va très vite vraiment. On a tous en tête un Yahoo qui dominait Internet il y a encore quinze ans qui est actuellement quasiment en cessation de paiement.
Au sujet de l'affaire Snowden on peut penser que cela en fait ne change pas l'habitude des gens. Ce n'est pas si vrai que cela. Les débats sur la NSA n'auraient pas provoqué de changement majeur. Tout cela est peut-être encore un peu dans l'avant-garde encore que.
Essayions-nous de faire des échanges de mails cryptés il y a cinq ou six ans ?
C'était compliqué. Et ce n'est pas pour rien que c'est après les grands scandales de ces dernières années que tout d'un coup on s'est mis  à démocratiser ce qui était en réalité réservé à une élite de geeks, qui avaient les moyens de pouvoir l'installer sur son ordinateur.
En réalité si on veut se met à bien penser le numérique et qu'on assume et qu'on comprend enfin que l'on a des choix politiques à faire, je crois que la question de la souveraineté numérique est quelque chose que l'on peut reprendre en main davantage que par le passé.
Les GAFAM faisaient figure il y a peu encore de géants invulnérables et conquérants. Leur marche à la domination planétaire semblait inexorable. Ils étaient l’incarnation du slogan  « Le gagnant rafle la mise ». Hyper valorisés, détenteurs de liquidités colossales à leur actif, maitre du jeu dans le domaine des fusions acquisitions,  rien ne semblait arrêter leur marche conquérante.
Bouleversant les hiérarchies passées, les GAFAM sont ainsi devenus les champions de la cote, détrônant les anciens champions de l’énergie, de la finance ou de la distribution, les EXXON, JP Morgan et Walmart. Et ils le demeurent en dépit de leurs récents déboires.
Et pour cause, entre le début de l’année 2013 et leurs points hauts de 2018, les cours de des GAFAM ont été multipliés par des facteurs qui varient selon les cas de 3 ou 4 pour les entreprises les plus matures à 8…. C’est énorme !
Mais ces niveaux qui demeurent zénithaux, ne peuvent faire oublier qu’en moins d’un an, toutes ces valeurs ont connu des décrochages, et une instabilité qui s’apparentent pour certaines de ces entreprises à une véritable bérézina. Si l’on compare les points hauts de 2018 de chacune de ces valeurs aux points bas qu’elles ont touchés au tournant de 2018-2019, les ordres de grandeur en disent long sur le degré de défiance: -43% pour Facebook, -39% pour Apple, -34 % pour Amazon… et de l’ordre de -20 % pour Google et Microsoft. De la même façon que le vocable GAFAM regroupe des entreprises très hétérogènes, on peut avoir la sensation que le décrochage de chacune de ces entreprises relève de causes bien spécifiques et parfois anecdotiques.
Entre les déclarations intempestives de certains patrons au profil borderline, le burnout ou le divorce médiatisé et sulfureux de Jeff Bezos, le scandale de Cambridge Analytica pour Facebook, la guéguerre médiatique personnelle outrancière que Trump a engagé avec les stars de la Silicone Valley, et quelques profit warning qui ne disent rien sur le fond des choses….
On pourrait avoir le sentiment d’un malheureux concours de circonstances, et d’une hyper-réaction sur un marché rendu nerveux par la multiplication des incertitudes monétaires et commerciales.

BATX, fiscalité, choc data et concurrence

Mais ce serait minimiser les choses. Des causes structurelles plus profondes sous-tendent bien la nervosité des marchés :

  • Il y a d’abord un facteur commun à toutes ces déconvenues.
    La montée en puissance bien organisée des BATX chinois, sortes de clones à vocation planétaire, qui ne sont qu’à l’aube de leur déploiement international. L’idée que les GAFAM allaient consolider leur rente de monopole à travers une conquête planétaire a pris du plomb dans l’aile.
  • Il y a ensuite l’impunité fiscale des GAFAM, dont chacun pense qu’elle ne peut plus durer longtemps, surtout si l’administration américaine s’y attaque. Ce qui semble être le cas.
  • Il y a toutes les incertitudes de plus en plus tangibles sur la propriété et la manipulation des données. La béance juridique en la matière devient une véritable menace, et l’ère de la data sans contrôle et libre de droit touche sans doute à sa fin. L’industrie du numérique s’approche d’un choc data, comme l’industrie traditionnelle a eu son choc pétrolier. C’est-à-dire une reconsidération du prix et de la facilité l’accès à la ressource essentielle.

Ces trois grandes évolutions font que toutes ces entreprises vont devoir avoir une démarche qualité et de consolidation de leur clientèle qui va leur coûter le l’argent, et les sortir un peu plus du mythe du cout marginal zéro qu’elles avaient survendu.  Pour Apple, il y a aussi la profonde remise en cause de ses chaînes de valeur que pourrait entrainer un dérapage de la guerre commerciale avec la Chine….

Et puis, il y a un dernier élément très perturbateur et non des moindres : l’intensité croissante de la concurrence entre les GAFAM eux-mêmes, que l’on oublie de prendre en compte. Chacun des GAFAM s’est bâti sur un territoire qui lui est propre, avec des clés de réussite spécifiques. Mais le nouveau chapitre qui s’ouvre concernant la prise de leadership dans  le domaine de l’Intelligence artificielle, et dans celui du véhicule autonome, les mets en concurrence frontale.
Et dans ce combat, il y aura des gagnants et des perdants et in fine un bouleversement des hiérarchies. Bref, disons pour conclure que le burnout des patrons des GAFAM participe à l’instabilité des cours…. Mais que ce burnout a de sérieuses raisons d’exister.

 

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Auteur: 
Christophe Dubois-Damien Président de l’Atelier Intelligence économique

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